mardi 11 mars 2008

Le catholicisme romain aurait-il inventé la laïcité? Robert Duguet

Je viens de lire les dix commandements de Bernard Henry Lévy pour une laïcité à la française, publié dans le numéro 568 de Marianne. Si, en tant que laïque, je peux partager bien des idées avancées, il y en a une qui m’apparaît toutefois céder à un point de vue fréquemment instillé par les courants s’inspirant du christianisme social et qui repose sur une contre-vérité fragrante. Notre philosophe déclare :

« Le principe fondateur c’est un chrétien qui l’a posé. C’est même le fondateur du Christianisme. C’est Saint Paul qui, dans un dialogue avec sa foi d’origine, dans son corps à corps avec un judaïsme où c’est le même personnage, David, qui, je dis bien selon lui… joue le double rôle du prince et du prophète, lance son fameux « rendre à César ce qui est à César, rendre à Dieu ce qui est à Dieu. » Le principe de base est celui là. »

Ce serait le Christianisme qui aurait induit cette séparation entre le domaine religieux et politique. Au-delà de l’apôtre Paul qui commença à organiser l’Eglise primitive, et à qui le texte de l’évangile prête cette phrase, le débat sur le régime de séparation de l’Eglise et de l’Etat, côté catholique, fait référence à celui qui l’a théorisé, à savoir l’évêque Augustin.
On trouve dans le Figaro Magazine de la semaine du 26 janvier une discussion contradictoire entre le Grand Maître du Grand Orient de France, Jean Michel Quillardet et Philippe Verdin, dominicain et auteur d’un livre d’entretiens avec Nicolas Sarkozy : « La République, les religions, l’espérance » aux éditions du Cerf (2004). En tant que défenseur catholique de la position du chef de l’Etat, ce dominicain fait référence précise à la philosophie augustinienne. Comment est-elle présentée ? Jean Claude Eslin, philosophe s’exprimant dans les colonnes de la Revue Esprit, écrit dans son ouvrage « Dieu et le pouvoir : théologie et politique en Occident » (1999) :

« Augustin est considéré comme le père de l’Occident. La distinction des deux cités, la cité céleste et la cité terrestre, qu’il articule dans la cité de Dieu, nous paraît constituer le principe de séparation, de non-confusion qui gouverne l’occident. Aujourd’hui encore, on peut considérer que cette distinction demeure… la conscience occidentale a subi un clivage, un domaine a été réservé, le pouvoir politique n’est plus sacralisé, un domaine d’autonomie a paru par rapport aux intérêts politiques…
« Le Christianisme d’une part désacralise l’état, fait sauter l’enveloppe sociale qui joint politique et religion dans les sociétés antiques et, d’autre part, reconnaît l’autonomie du champs politique. »

Avec la « Cité de Dieu » (412-427) Augustin (354-430) réalise une séparation absolue, et à ses yeux fondatrice, entre la cité terrestre et la cité céleste, ce qui n’a rien à voir avec un quelconque régime de séparation :
« Deux amours ont donc bâti deux cités, celle de la terre par l’amour de soi même jusqu’au mépris de Dieu, celle du ciel par l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi. L’une se glorifie en elle-même, l’autre dans le seigneur… L’une dans la gloire redresse la tête, l’autre dit à son Dieu : « Tu es ma gloire et tu élèves ma tête. »
Tout l’effort d’Augustin va consister à dévaloriser les « devoirs envers la cité terrestre » et plus généralement tout ce qui relève « d’une vie temporelle » qu’il convient de regarder avec mépris, afin d’arracher les hommes à la cité profane et de les convaincre de réorienter toute leur existence sur les finalités de « la cité céleste ».

En rupture avec la pensée grecque qui pensait que le Souverain Bien relève de ce monde, et seulement de lui. Augustin introduit la notion de salut de l’âme après la mort, pour opérer cet arrachement de l’homme à la cité profane. La cité grecque avait confiné les sacerdotes a un rôle subalterne, sorte de fonction provisoire qu’ils pouvaient exercer après une magistrature publique, par exemple. Avec le Christianisme le clergé se constitue en caste organisée qui veille au salut des âmes et réalise cet arrachement de l’homme à la cité terrestre. L’individu est hors d’état de se sauver lui-même, il a besoin de l’intercession du prêtre. Cette nouvelle vision transforme radicalement le statut de celui qui n’observe pas la religion dominante. Chez les grecs il y avait le culte aux dieux protecteurs de la cité. Une sorte de séparation était établie entre une sphère publique et une sphère privée, où chacun pouvait honorer d’autres dieux ou même ne croire en aucun dieu. Pour le christianisme, l’indifférence religieuse, le scepticisme, et l’athéisme sont l’expression d’une perversité morale absolue qu’il faut combattre.

Pas plus l’apôtre Paul que l’évêque Augustin ne développent une théorie de l’indépendance réciproque des rapports de l’Eglise et de l’Etat, en revanche il fournit à l’Eglise une théorie politique nettement formulée, celle de la soumission absolue à l’Empereur. A propos de Néron qui fit massacrer dans les arènes des milliers de chrétiens, il a cette phrase terrible :

« même à de pareils individus, le pouvoir de dominer n’est accordé que par la providence du Dieu suprême quand à ses yeux le monde mérite de tels maîtres. »

Par ailleurs, de l’Etat impérial Augustin demande la protection, c'est-à-dire l’usage de la force en faveur de l’instauration du monopole religieux du Christianisme.

Gélase, pape à la fin du Vème siècle écrit :
« Il n’appartient à aucun empereur de prendre le titre de pontife, et à aucun pontife de revendiquer la pourpre royale. Le Christ, en effet, conscient de la fragilité humaine, a voulu que les autorités chargées de pourvoir au salut des fidèles fussent équilibrées dans une prudente ordonnance. Il a donc distingué les devoirs de chaque puissance. Il leur a assigné à chacune leur rôle propre et leur dignité spéciale. Il a opposé ainsi le remède salutaire de l’humilité à tout retour de l’humain orgueil. Pour satisfaire à son vœu, les empereurs chrétiens s’adressent au pontife lorsque la vie éternelle sera en jeu, et les pontifes useront de la protection des empereurs dans le cours de la vie temporelle. Qu’aucun ne passe les bornes de son domaine, que chacun se tienne avec modestie à son rôle. Et de la sorte nul ne songera à étouffer l’autre. Dans chaque sphère ce sera le plus compétent qui exercera son action dans l’ordre. »
C’est déjà une ébauche du principe de subsidiarité que l’on trouvera exposé plus tard au XIIIème siècle par Thomas d’Acquin, quand l’Eglise devra faire face au mouvement communal et au développement du capitalisme.

Donc cette idée de l’indépendance réciproque du spirituel et du temporel, qui ferait de l’Eglise romaine la fondatrice du principe de laïcité est une pure construction intellectuelle, à usage des chrétiens sociaux. De la mort d’Augustin en 476 au 16ème siècle, la philosophie de l’Eglise ne connaîtra guère de variations sur ces principes fondateurs.

La question de l’indépendance réciproque du politique et religieux commencera à se poser sérieusement avec le marché capitaliste moderne, le mouvement des sciences de la nature au XVIème siècle, la généralisation philosophique qu’elle permettra avec les Lumières au XVIIIème siècle : la religion luthérienne introduira une rupture importante dans le dispositif de la cléricature catholique. Tout homme a droit, quelle que soit son savoir et sa condition sociale, à se donner les moyens d’accéder par lui-même au texte révélé, et à l’interpréter selon sa conscience. C’est le principe de liberté de conscience qui émerge. C’est le mouvement des sociétés occidentales allant vers leur sécularisation qui dégagera progressivement, à travers d’âpres luttes politiques, la séparation de la sphère publique et privée. Cette bataille prendra diverses formes, selon les histoires particulières des peuples européens et la place occupée par l’Eglise romaine. En France, elle a pris la forme, de la révolution française de 1789 à la 3ème république, d’une rupture radicale, dont le plus beau fleuron est la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Dire que ce principe est contenu dans l’esprit du Christianisme, c’est d’un trait de plume, gommer 3 siècles et demi de lutte pour l’émancipation de la pensée humaine, au cours desquels l’Eglise catholique, comme appareil politique et théocratique spécifique, a joué un rôle particulièrement réactionnaire. On ne peut pas laisser écrire cela.

Robert Duguet, membre de l’association PRS (Pour la République Sociale)

samedi 16 février 2008

Lors du dîner annuel du CRIF, Sarkozy persiste et signe dans le mensonge et la provocation, Robert Duguet


Le curé et l’instituteur

Ce qu’il prétend avoir dit (discours du CRIF) :"Jamais je n’ai dit que l’instituteur était inférieur au curé, au rabbin ou à l’imam pour transmettre des valeurs"…. "ce dont ils témoignent n’est tout simplement pas la même chose". L’instituteur "témoigne d’une morale laïque, faite d’honnêteté, de tolérance, de respect". Le curé, le rabbin et l’imam "témoigne d’une transcendance dont la crédibilité est d’autant plus forte qu’elle se décline dans une certaine radicalité de vie".
Ce qu’il a réellement dit dans son discours de Latran, version disponible sur le site de l’Elysée :
« Dans la transmission des valeurs et dans l‘apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l‘instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s‘il est important qu‘il s‘en approche, parce qu‘il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d‘un engagement porté par l‘espérance. »
La morale publique et la morale religieuse

"Jamais je n’ai dit que la morale laïque était inférieure à la morale religieuse". "Ma conviction est qu’elles sont complémentaires et que, quand il est difficile de discerner le bien du mal, ce qui somme toute n’est pas si fréquent, il est bon de s’inspirer de l’une comme de l’autre."
(Discours au CRIF)
Ce qu’il a dit à Latran :
« S’il existe incontestablement une morale humaine indépendante de la morale religieuse, la République a intérêt à ce qu’il existe aussi une réflexion morale inspirée de convictions religieuses. D’abord parce que la morale laïque risque toujours de s’épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n’est pas adossée à une espérance qui comble l’aspiration à l’infini. Ensuite parce qu’une morale dépourvue de liens avec la transcendance est davantage exposée aux contingences historiques et finalement à la facilité. »

Une laïcité de chanoine, Caroline Fourest

La laïcité à la française vit-elle ses dernières heures ? « La société a changé », nous dit Michèle Alliot-Marie. La loi de 1905 est censée suivre. Elle nous annonce une modification, non pas de sa lettre, mais de son esprit, par circulaire ou par décret. Encouragé par de tels propos, le recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, demande carrément un « moratoire ».

Personne ne peut prétendre être surpris. Nicolas Sarkozy l'avait promis, et même écrit en 2004 dans La République, les religions et l'espérance : un livre de combat contre une conception stricte et ambitieuse de la laïcité à la française, qualifiée de « sectaire ». Il envisageait même de modifier l'article 2 - selon lequel « l'Etat ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » - pour financer des lieux de culte sur fonds publics. Sentant que cela ne passerait pas, il s'est vite rabattu sur une solution plus discrète : décloisonner les associations de type 1905 et de type 1901 pour pouvoir financer le religieux via le culturel. Une suggestion du président de la Fédération protestante, retenue par la commission Machelon mise en place par Nicolas Sarkozy, et que Michèle Alliot-Marie promet d'appliquer en pleine remontée des intégrismes.

Officiellement, il s'agit d'aider l'islam à rattraper son retard. L'argument séduit même à gauche. Les mêmes n'accepteraient jamais que l'on touche à la laïcité pour financer le culte chrétien ou juif, mais si c'est pour l'islam... Mais de quel retard nous parle-t-on ? Si les fidèles sont nombreux et manquent d'un lieu de culte, ne peuvent-ils pas se cotiser ? Bien sûr que si, et c'est ce qu'ils font. D'après les chiffres du bureau des cultes du ministère de l'intérieur, le retard est pratiquement rattrapé. L'islam des caves n'est plus qu'un fantasme. Sur les 30 caves recensées par les services de renseignements, la plupart ont été remplacées par des salles de prières officielles, passées de 1 555 à 2 000 entre 2001 et 2006. Soit presque autant que le nombre de lieux de culte évangéliques, en pleine explosion avec 1 800 lieux recensés. Alors que 3 % des Français sont musulmans et 2 % protestants, il s'ouvre chaque année en moyenne 34 lieux évangéliques et 16 mosquées.

Jamais, depuis un siècle, la France n'avait connu une telle frénésie dans la construction de lieux de culte. Il en pousse un par semaine, souvent avec l'aide des élus locaux, de gauche ou de droite, désireux d'entretenir les clientèles religieuses. C'est dire si le dynamisme actuel devrait bien vite combler les besoins des musulmans français, dont un tiers seulement se déclarent « croyants et pratiquants », et dont seule une petite minorité va à la mosquée.

L'Etat a-t-il tellement d'argent à dépenser qu'il faille le consacrer à encourager cet islam collectif, souvent politique, au détriment de l'islam individuel ? Cet argent, nous dit-on, permettrait de mieux contrôler l'islam radical. Rien n'est plus illusoire. Les mosquées radicales, comme celles de l'UOIF - une organisation inspirée par les Frères musulmans légitimée par Nicolas Sarkozy au sein du Conseil français du culte musulman -, ont déjà leurs mécènes et déclinent l'offre d'une aide de l'Etat assortie d'un contrôle. D'ailleurs, à moins de revenir à un système concordataire, comment l'Etat pourrait-il contrôler le contenu d'un prêche ? Et de quel droit ?

Le seul moyen de protéger l'islam contre les influences étrangères et intégristes serait d'obliger tous les fonds destinés au cultuel à passer par la Fondation pour les oeuvres de l'islam, imaginée sous Dominique de Villepin. Et de l'étendre à tous les cultes par souci d'équité. Un comité de sages, républicains et laïques, se chargerait de redistribuer l'argent ainsi collecté. Autrement dit, il ne faut pas assouplir l'esprit de 1905, mais le durcir.

Au lieu de financer le retour du religieux, on pourrait surtout consacrer cet argent au social et au culturel. Par exemple en vue de réduire le nombre d'élèves par classe dans les quartiers populaires. Mais ce n'est pas la priorité de notre président, pour qui un instituteur ne remplacera jamais un prêtre ou un pasteur. A l'entendre, le plus grand mal dont souffrent les banlieues serait d'être devenues des « déserts spirituels ». Sachant que l '« espérance » passe à ses yeux par le religieux, le nouveau nom du plan banlieue - baptisé « Espoir banlieue » - a de quoi inquiéter.

Mais que l'on ne s'y trompe pas : la volonté de décloisonner le cultuel et le culturel servira surtout le christianisme. En particulier le renouveau évangélique à tendance sectaire, que Nicolas Sarkozy juge « évidemment positif » et sur lequel il mise ouvertement pour reconquérir les banlieues. Toujours dans ce fameux livre, il consacre un chapitre entier à la reconnaissance des « nouveaux mouvements spirituels », du nom donné aux Etats-Unis à ce que nous appelons en France des sectes. On pense à des mouvements comme les Témoins de Jéhovah ou la Scientologie, incroyablement chouchoutés lorsque Nicolas Sarkozy était ministre de l'intérieur. Michèle Alliot-Marie annonce vouloir revoir « les qualifications pénales » envers les « dérives sectaires ». Pour les assouplir, bien sûr. La « laïcité positive », c'est-à-dire à l'anglo-saxonne, n'a pas fini de nous surprendre.

(publié par le journal Le Monde 8 février 2008)

vendredi 8 février 2008

Sarko, le pape et Carla, par Vincent Présumey

Désolés, chers lecteurs. Ce titre pourrait vous promettre du croustillant, au moins qu'on se foute un peu de leur gueule à ces profiteurs peu reluisants. Mais il ne s'agit ici que de colère.
Car ce que Sarkozy est allé raconter sous le nez du pape est d'un niveau de gravité au moins égal à celui de ses déclarations de campagne électorale sur le caractère "génétique" de la pédophilie et du suicide des ados. Quelques extraits commentés seront utiles.

Notons d'abord, mais on le savait déjà, que Nicolas Sarkozy est un ignorant : « C'est par le baptême de Clovis que la France est devenue Fille aînée de l'Eglise. Les faits sont là (sic !!!). En faisant de Clovis le premier souverain chrétien, cet événement a eu des conséquences importantes sur le destin de la France et sur la christianisation de l'Europe. A de multiples reprises, ensuite tout au long de son histoire, les souverains français ont eu l'occasion de manifester la profondeur de l'attachement qui les liait à l'Eglise et aux successeurs de Pierre. Ce fut le cas de la conquête par Pépin le Bref des premiers Etats pontificaux ou de la création auprès du Pape de notre plus ancienne représentation diplomatique. »

Tout professeur ou étudiant d'histoire médiévale sursautera devant ce condensé de sottises. La France n'est pas née avec Clovis, chef flamand qui, pour prendre l'Aquitaine aux Wisigoths, s'est allié aux évêques catholiques et à la vieille noblesse foncière gallo-romaine également devenue catholique. Le mythe de la France "fille aînée de l'église", auquel Clovis n'avait pas pensé, s'est formé bien plus tard sous les monarques capétiens, surtout sous Louis XIV qui voulait faire du catholicisme la religion obligatoire et expulsa pour cela, tortura, envoya aux galères les protestants. Pépin le Bref, à propos duquel il circule que Sarkozy le court aurait commis le lapsus Pétain le Bref, n'était pas plus un roi "français" que Clovis, la France n'existant toujours pas au VIII° siècle. Il mena à bien une opération de brigandage par laquelle il attribua au pape la bande de territoires qui devait être ensuite le malheur de l'Italie sous le nom d' "Etats pontificaux", jusqu'en 1870, composés des derniers morceaux de l'empire byzantin que n'avaient pas pris les Lombards, et dont le pape avait pris le contrôle : comme l'empereur d'Orient ne pouvait plus le protéger il a fait appel aux Francs en inventant l'idée de reconstruire un empire d'Occident, une invention chrétienne aux conséquences elles aussi très graves dans l'histoire de l'Europe. Quant à cette histoire de représentation diplomatique, c'est tout simplement n'importe quoi. Il n'y connaît rien, il raconte n'importe quoi (ce qui n'est pas le cas, notons-le, du vieux renard Ratzinger, qui s'y connaît, lui, en histoire canonique).

Un peu plus loin Sarkozy cite soudain le philosophe grec Héraclite : Si l'on n'espère pas l'inespérable, on le reconnaîtra pas. (Il s'agit en fait d'une mauvaise traduction d'un fragment d'Héraclite rapporté par Clément d'Alexandrie). Outre que ceci en dehors de tout contexte ne veut strictement rien dire -et les mouvements de mentons ne changent rien à la nullité de la pensée-, les bonnes âmes pourront se dire "mais où va-t-il chercher tout ça ? ". Tout ça, c'est du toc ; Héraclite pour ce que l'on en connaît est un penseur dialectique, qui met en valeur les oppositions, le choc des contraires et le combat. Rien à voir avec cette eau de sacristie insipide et inculte.

Ceci établi, passons au plat de résistance : « Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes. (...) Tout autant que le baptême de Clovis, la laïcité est également un fait incontournable dans notre pays. Je sais les souffrances que sa mise en oeuvre a provoquées en France chez les catholiques, chez les prêtres, dans les congrégations, avant [la mise en oeuvre de la loi avant son adoption ? Sarkozy croit que cela se passait comme avec lui ! Passons ...] comme après 1905. Je sais que l'interprétation de la loi de 1905 comme un texte de liberté, de tolérance, de neutralité est en partie une reconstruction rétrospective du passé. C'est surtout par leur sacrifice dans les tranchées de la Grande guerre, par le partage des souffrances de leurs concitoyens, que les prêtres et les religieux de France ont désarmé l'anticléricalisme ; et c'est leur intelligence commune qui a permis à la France et au Saint-Siège de dépasser leurs querelles et de rétablir leurs relations. »

En clair, cela veut dire que la loi de 1905, séparant les églises et l'Etat, garantissant le caractère privé de la religion -une notion totalement absente du discours de Sarkozy, et pour cause- n'était pas une loi de liberté, ne garantissait pas la paix civile, agressait injustement les malheureux catholiques ; et que les choses ont finalement bien tourné parce qu'il y a eu l'union sacrée dans le carnage patriotique de 1914-1918, vrai acte fondateur, à l'encontre de la loi de 1905, de la "laïcité positive" à la sauce Sarko, et que les prêtres ont fait preuve d'intelligence contre le satanique et liberticide anticléricalisme. La laïcité, explique donc Sarkozy, est "devenue une condition de la paix civile", ce qu'elle n'était donc pas au départ. Pas faux : elle a été dévoyée dans l'union sacrée pour la défense de l'ordre établi. Car en effet la laïcité de 1905 (la seule laïcité véritable, qui ne privilégie pas les religions), est pour Sarkozy fondamentalement mauvaise, car elle veut nier le "baptême de Clovis" : « Elle n'a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a voulu le faire. Elle n'aurait pas dû ». C'est le même reproche que Franco faisait à la République espagnole. Soulignons ce passage :
« Arracher la racine, c'est perdre la signification, c'est affaiblir le ciment de l'identité nationale, et dessécher davantage encore les rapports sociaux qui ont tant besoin de symboles de mémoire. »
Par la métaphore de la "racine", l'imagerie saint-sulpicienne qui se veut "spirituelle" tend la main à une autre imagerie, celle de la "terre et les morts" de Maurice Barrès, penseur nationaliste des années 1900, en allemand le Blut und Boden (le sang et le sol) de sinistre mémoire. Sans qu'il y ait équivalence entre les deux systèmes de représentations, il y a des passerelles. On remarquera que le thème de l' "identité nationale", appellation d'un ministère et d'un ministres désormais célèbres, se situe bien à la charnière de ces deux sphères idéologiques -celle de l'intégrisme chrétien et celle du racisme ethnique. N. Sarkozy était d'ailleurs accompagné devant Ratzinger du polygraphe français Max Gallo, que l'on peut de plus en plus considérer comme un sous-produit de Maurice Barrés.

Les militants laïques doivent méditer particulièrement cette interprétation sarkozyste des évènements récents : « le peuple français a été aussi ardent pour défendre la liberté scolaire que pour souhaiter l'interdiction des signes ostentatoires à l'école ». Sont ici mis sur le même plan la défense de la soi-disant "liberté de l'enseignement"', c'est à dire le détournement de nos impôts pour payer des écoles contrôlées par l'Eglise catholique essentiellement, et la loi sur les signes religieux à l'école, interdisant de fait avant tout le voile musulman, et accessoirement les kippas et les trop grandes croix. Sarkozy a ici raison, non en ce qui concerne l' "ardeur" du peuple, mais le contenu de la loi chiraquienne : la loi de 1905 par elle-même suffisait à proscrire les signes ostentatoires et permettait un combat éclairé et non discriminatoire contre le voile, alors que la loi de 2003 et le rapport Stasi sur laquelle elle se fonde ont pour base la volonté de faire cohabiter les différentes "communautés" dans une école conçue comme celle de "toutes les religions" (voir la Lettre de Liaisons de janvier 2004, consultable sur le site des archives de Liaisons).

Mais le pire est un peu plus bas. Après avoir affirmé qu'il ne voulait pas abroger la loi de 1905, Sarkozy se livre à une attaque en règle contre son application :
« Qu'il me soit également permis de rappeler les critiques virulentes dont j'ai été l'objet au moment de la création du Conseil français du culte musulman. Aujourd'hui encore, la République maintient les congrégations sous une forme de tutelle, refuse de reconnaître un caractère cultuel à l'action caritative ou aux moyens de communication des Eglises, répugne à reconnaître la valeur des diplômes délivrés dans les établissements d'enseignement supérieur catholique alors que la Convention de Bologne le prévoit, n'accorde aucune valeur aux diplômes de théologie. »
Il faut donc libérer les congrégations de tout contrôle, en leur permettant notamment, ajouterons-nous, de pomper encore plus de subventions publiques ; reconnaître le caractère cultuel des actions caritatives, ce qui mène très loin contre la santé publique et dans les quartiers, et faire des diplômes catholiques des diplômes d'Etat, permettant l'embauche de fonctionnaires agréés en tant que tels par les autorités cléricales. Voila la "laïcité positive" ! A part ça, on dit qu'on ne remet pas en cause la loi de 1905 ...

Le tout est complété par une attaque contre toutes les morales et éthiques non religieuses, républicaines, sociales, etc. -en fait contre tous les courants républicains et libéraux puis révolutionnaires et socialistes qui, depuis 1789, se sont affirmés contre la prééminence de la religion. Pompant cette fois ci sur la prose d'un Régis Debray, Sarkozy explique que la morale de l'incroyant est plus faible que celle du croyant. Oh certes, il le dit d'abord avec les subtilités jésuitiques et universitaires de ceux qui ont écrit son discours : « Même celui qui affirme ne pas croire ne peut soutenir en même temps qu'il ne s'interroge pas sur l'essentiel. Le fait spirituel, c'est la tendance naturelle de tous les hommes à rechercher une transcendance. Le fait religieux, c'est la réponse des religions à cette aspiration fondamentale. » Grossièreté et jésuitisme se conjuguent ici : évidemment l'incroyant s'interroge lui aussi (peut-être même, bien souvent, un peu plus !) sur "l'essentiel", et il peut revendiquer une "spiritualité" qui ne saurait toutefois équivaloir à cette "recherche de la transcendance" qui, dans la bouche de la médiocrité qui nous gouverne, ne veut rien dire du tout si ce n'est "agenouille toi devant ce qui te dépasse et reconnaît que cela t'échappera toujours". Si la "transcendance" c'est ça, non merci. Or, ajoute padre Sarko : « ... la morale laïque risque toujours de s'épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n'est pas adossée à une espérance qui comble l'aspiration à l'infini ». C'est la thèse de Ratzinger dans sa dernière encyclique contre le matérialisme athée : en clair, pas de morale sans religion. Finalement, puisqu'il ne peut pas s'empêcher d'être grossier, il fallait aussi que Sarkozy le dise grossièrement :
« Dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, même s'il est important qu'il s'en approche, parce qu'il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d'un engagement porté par l'espérance. »
L'instituteur ne vaut pas le curé, mais il doit s'en approcher le plus possible. Ite missa est. Nul doute que Sarkozy est ici à l'unisson de Ratzinger qui canonisait récemment les prêtres franquistes ayant mis en oeuvre le meurtre des institutrices et instituteurs laïques espagnols et catalans.

Reste la cerise finale : ne reculant devant rien, Sarkozy a expliqué aux ecclésiastiques présents que lui, président, comprenait les prêtres parce que leur vocation et les sacrifices qu'elle est censée impliquer sont au fond très proches. Il est permis de rire, naturellement, surtout quand on pense à l'ombre longiligne de Carla Bruni à laquelle tous ont du penser en matière de "sacrifices". Mais ces propos sont parfaitement en cohérence avec le contenu politique de tout le discours : l'institution présidentielle, comme son ancêtre directe l'institution monarchique, est un sacerdoce, une cléricature. A quand le sacre ? A quand la présidence de droit divin ?
En attendant, Sarkozy fixe une perspective de combat. Il a expliqué que sa République a lui a besoin de croyants, pas d'incroyants : « Bien sûr, ceux qui ne croient pas doivent être protégés de toute forme d'intolérance et de prosélytisme. Mais un homme qui croit, c'est un homme qui espère. Et l'intérêt de la République, c'est qu'il y ait beaucoup d'hommes et de femmes qui espèrent ». Vieille rengaine de l'Inquisition : qui ne croit pas n'espère pas, qui ne croit pas n'est pas un bon citoyen, espérez c'est-à-dire croyez ! D'ailleurs, « la France a besoin de catholiques convaincus qui ne craignent pas d'affirmer ce qu'ils sont et ce en quoi ils croient. La campagne électorale de 2007 a montré que les Français avaient envie de politique pour peu qu'on leur propose des idées, des projets, des ambitions. Ma conviction est qu'ils sont aussi en attente de spiritualité, de valeurs, d'espérance. »

Nous voila prévenus : la destruction du droit du travail ira de pair avec l'offensive contre-révolutionnaire catholique. Ce discours abominable a été tenu avec les trois invités du président venus voir le pape avec lui : un amuseur de beaufs, Bigard, représentant de l'idée qu'il se fait du "peuple" ("pipi ? hi hi hi ! Caca ? ha ha ha !" - Amen), Denis Gilbert, "curé des loubards", et Max Gallo, déjà cité. Le scatologue pour beaufs, le curé pour pauvres et l'allumé du bocal composaient ainsi une trinité résumant la "France de Sarko". Comme l'écrit La Croix : « Jamais un chef de l'Etat français n'avait si vigoureusement défendu l'héritage catholique de son pays ». La Croix est oublieuse de ses propres amours. Car le seul équivalent de tels discours, suivi d'actes, c'est le maréchal PETAIN.

Oui, mais, et Carla, dans tout ça ? On y vient. Qu'on le veuille ou non, l'affichage -à Disneyland- du président avec la dite Carla (Cécilia, Rachida, Carla, Fadela, Rama, Yasmina ... on va finir par le croire fétichiste des femmes en A) relève de la même politique. Quand la régression est en marche, elle doit concerner tous les domaines. Si le président, c'est le roi, alors les petites maîtresses du roi font partie du cirque présidentiel et ont une fonction politique. Au moins dans le registre du symbolique, il était triplement nécessaire que l'inconscient institutionnel de la V° République monarchique soit rassuré envers la virilité présidentielle, puisqu'il y avait eu :
1°) la peur sociale devant les cheminots et les jeunes,
2°) le sacrifice quasi sacerdotal du président devant son Altesse Khadafi comme rançon d'une politique afro-méditérranéenne de gangster,
3°) le divorce de la légitime.
Il était donc nécessaire, dans cette logique là, de faire savoir au bon peuple -celui que Bigard fait rire, d'une part, mais aussi celui des hauts fonctionnaires d'autorité dont la propre autorité est censée être une émanation de celle du chef suprême, comme l'aura des prêtres leur vient de leurs évêques qui le tiennent du pape- que la virilité du chef était encore en état de marche, compte tenu des batailles sociales qu'il lui falloir encore soutenir en 2008, car le plus dur reste à faire, ainsi qu'il le dit lui-même souventes fois ...

30 décembre 2007.

Sauvegardons la laïcité de la République, Appel national

Un nombre important d’organisations politiques, syndicales, associatives lancent un appel…

mardi 5 février 2008

Les organisations et personnalités signataires rappellent solennellement que, selon l’article 1er de la Constitution, la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Ces quatre termes indissociables définissent des principes qui s’imposent à tous, au premier rang desquels le Président de la République. Or, les déclarations récentes de Monsieur Sarkozy, mêlant ses convictions personnelles et sa fonction présidentielle, portent atteinte à la laïcité de la République.
La mise en cause de ce principe constitutionnel indispensable à la paix civile est inacceptable. Depuis 1905, grâce à la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat, la République assure à chaque citoyen la liberté de conscience, garantit sa liberté de croire ou de ne pas croire et de pratiquer le culte de son choix, de n’en pratiquer aucun ou de pouvoir en changer. Elle permet ainsi de vivre ensemble, dans le respect de chacun, quelles que soient ses origines, ses choix philosophiques ou ses convictions religieuses.
Dans notre République et notre société multiculturelle, la diversité doit être richesse et non source de conflit. Pour cela, la laïcité, assurant l’égalité en droit des citoyens dans le respect des lois de la République, permet à la fois l’expression du pluralisme des convictions et la recherche de valeurs communes pour construire une communauté de destin.
Dans un monde aujourd’hui global et de plus en plus complexe, où se multiplient les voies d’accès à l’information et aux connaissances, et où explose la médiatisation des événements et de la pluralité des représentations du monde, seule la laïcité permet l’émancipation de tous en favorisant le libre accès au savoir et à la culture et le discernement de chacun pour un libre choix de vie, par une démarche rationnelle et critique faisant toute leur place au doute, à l’imagination et à la créativité.
C’est pourquoi, les organisations et personnalités signataires s’opposeront à toute tentative qui mettrait, de fait, en cause la laïcité par une modification du contenu de la loi de 1905. A l’heure où nos concitoyens éprouvent des difficultés et des inquiétudes croissantes, elles les appellent à promouvoir la laïcité comme une exigence partagée avec la ferme volonté de bâtir ensemble une société où la justice sociale assurera, quotidiennement, pour toutes et pour tous, la liberté, l’égalité et la fraternité.

(Vous trouverez tous les détails sur le site suivant)

Analyse et Réplique, par Jean Luc Mélenchon


La lettre d'information du sénateur, n°33 - Janvier 2008 Politique


Le président de la République s’est exprimé le 20 décembre 2007 au Vatican pour présenter une nouvelle définition de la laïcité en France. Ce discours a soulevé une grande émotion. Il a donné lieu à interpellations du gouvernement par l’opposition dans les deux assemblées. J’ai été invité à présenter une analyse du discours présidentiel le 22 janvier 2008 devant le Grand Orient de France. Je publie ici le texte de la conférence que j’ai prononcée.

Sommaire

I/ Le discours de Latran

Un manifeste global 3
Une relecture orientée de l’Histoire de France 4
Une lecture cléricale de la Loi de 1905 8
Une amnistie de l’intolérance cléricale 10
La haine des Lumières 12

II/ Laïcité et choc des civilisations

Le choc des civilisations 14
Le monde post idéologique selon Nicolas Sarkozy 15

III/ Lever le verrou de la laïcité républicaine

Un discours pour l’actualité 18
Reconfessionaliser la société 19

IV/ La laïcité républicaine en danger

L’ancrage intime du fait religieux 23
La question du sens de la vie chez Nicolas Sarkozy 25
La « laïcité positive » 26

V/ Un projet concret de remise en cause de la Loi de 1905

Le rapport Machelon 29
Un moment de vérité 30

Texte intégral au format pdf sur le site suivant:

http://pagesperso-orange.fr/rduguet/laicite/replique_discours_latran.pdf

Déclaration du mouvement Europe et Laïcité

LA LAÏCITÉ DE LA RÉPUBLIQUE FACE AU PRÉSIDENT SARKOZY

Texte voté à l’unanimité le 2 février 2008
par le Conseil d’Administration du M.E.L.

Le Mouvement Europe et Laïcité, cosignataire de l’appel commun des 25 organisations laïques s’élevant contre les propos du Président SARKOZY à propos de la Laïcité, souligne la dangerosité des arrière-pensées et des intentions politiciennes de leur auteur à ce sujet, contrairement à ses obligations constitutionnelles de neutralité philosophique.

En effet, M. SARKOZY va être bientôt Président pour six mois du Conseil de l’Union européenne ; à ce titre, il est à redouter qu’il aggrave les dispositions anti-laïques du dangereux Traité de Lisbonne, et qu’il favorise la cléricalisation des instances européennes en cours de gestation.

Par ailleurs, M. SARKOZY et son entourage politique, dans leurs projets de réforme constitutionnelle de la République Française, se sont déclarés à plusieurs reprises partisans d’une sécularisation des influences religieuses dans le vécu institutionnel de la France, ainsi que le prévoient les néfastes dispositions du rapport Machelon que le président de la République a pris en compte pour porter atteinte à la laïcité institutionnelle.

En toutes ces occasions et sur ces différents plans, le président actuel de la République fait courir les plus grands dangers à la laïcité constitutionnelle de la France.

Le Mouvement Europe et Laïcité en appelle à l’opinion publique pour que celle-ci exprime son refus d’une telle entreprise rétrograde, antidémocratique et antirépublicaine.